Beauregard, Une Certaine Idée de la France
Une Certaine Idée de la France
L’éternelle question : veste
en cuir ou veste en jean ?
J’hésite : aller à un
concert de Black Rebel Motorcycle Club sans veste en cuir c’est un peu comme
d’aller à une réunion du FN sans porter de badge « Dehors les
étrangers ». Mais cela fait aussi un peu cliché du fan qui émule ses
idoles jusqu’à chercher à leur ressembler en tout point. Et puis c’est la
canicule en Normandie – une phrase que je n’aurai pas imaginé écrire un jour –
et le cuir, ça tient chaud. Veste en jean, donc.
Je me remaquille et raccommode au
mieux ma plus charmante petite chemise à chats, dans l’espoir enfantin
d’accroitre mes chances de me faire serrer par Robert, le bassiste du groupe,
derrière les latrines du festival – on a tous besoin d’un rêve.
Débarquer seul à un festival
n’est jamais facile au début, surtout dans un pays que l’on ne connait plus
qu’à moitié et dans un coin un peu paumé où l’on a jamais foutu les pieds. Le
concert de Jack White de la veille m’avait permis de découvrir les lieux et
trouver ma place de festivalière en solitaire sans trop de pression – j’apprécie
le monsieur mais ce n’est pas de l’amour. Aujourd’hui la glace est
brisée ; c’est d’un pied désormais conquérant que je m’introduis sur les
terres de Beauregard et déambule parmi la peuplade locale, le concert de Julien
Clerc en fond sonore. La veste en jean est restée au logement. Trop chaud.
Je ne suis pas sur le site depuis
deux minutes que je reconnais immédiatement Robert en train de se promener sur
le terrain. Il vient de se faufiler de derrière la barrière qui sépare la scène
des backstage. Je lui lance de
petites œillades timides. Du noir, rien que du noir de la veste en cuir aux
bottes : il fait l’effet d’une mouche sur un mur blanc au milieu des
festivaliers colorés. Avec ses cheveux bruns et son teint pâlichon, il m’évoque
un corbeau anémique. Anémique mais ravi, cela dit: je distingue un petit
sourire en coin et l’air débonnaire du mec qui débarque au rayon bières de son
Carrefour local un vendredi soir.
Il va se planter face à la scène
quelques mètres derrière moi et se tient là quelques instants, observe ses
braves roadies en train d’installer
leurs quintaux de matos.
Encore calme jusque-là, c’est la
débandade totale lorsqu’il s’avance soudain dans ma direction. Je lui balance
un sourire type rictus Tourette et me retourne vers la scène, range mon
téléphone et prend ma pose la plus naturelle. Aucun souci, je ne connais pas du
tout ce monsieur. J’attends que les gens autour de nous le reconnaissent à leur
tour, se mettent à hurler, se jettent sur lui et le lynchent à coups de selfies.
Rien. On croirait que je suis la seule à savoir.
J’hésite un instant entre aller
le saluer en faisant semblant de le traiter comme un être humain normal ou bien
ne pas perdre de temps « à la française » et directement lui proposer
de palper mes seins au travers de ma fine chemise largement déboutonnée. Mais
voilà qu’il repart déjà backstage et
met un terme à mon doutage. Tant pis.
Une autre fois, peut-être.
Je me place stratégiquement,
déterminée à en prendre plein la gueule dans les règles de l’art. Alors que
l’heure approche, je reconnais les symptômes qui précèdent tout concert de ceux
que j’aime un peu beaucoup trop et que je ne peux me retenir d’idolâtrer :
la pointe de stress comme au matin d’un entretien professionnel, la petite
boule au ventre, les intestins qui se tordent et le souffle qui manque.
« J’ai oublié ma ventoline, et si je suffoque en plein pogo et m’écroule
devant eux ? Et si je tape une diarrhée subite à deux rangs à peine de la
scène ? Il faut que j’aille faire pipi. J’ai envie de vomir. Je vais
mourir. »
Ce trac. Ça n’est pourtant pas
moi qui m’apprête à me présenter devant des milliers de personnes et dont la
plupart n’ont jamais entendu ma musique. Je vois que le caméraman posté de mon
côté de la scène se met à filmer les petites ados juste à côté de moi. Ok, parfait.
Les musiciens débarquent.
Ils envoient la purée d’emblée
avec le premier morceau, méchant et burné comme je les aime. Je vocifère et
amorce un sautillage qui sera calmé net par le stoïcisme des gens autour de moi.
Bon. « Youhou » quand même, merde.
Bon sang, c’est que je suis
vraiment bien placée. Moi qui en voulais. Bon sang, c’est que c’est vraiment
comme je l’espérais, comme je l’avais vu dans les vidéos et même en mieux, plus
classe, plus cool, plus magnétique. Je suis juste en face de Robert, le plus
expressif en concert des trois membres du groupe. Le corbeau malade qui
dénotait un poil sur le sol du festival a disparu. Le relâchement cutané, les
plis et petites rides de presque quarantenaire vues en vidéos ont disparu. Il
parait plus grand sur scène, plus mince. Quand il s’avance devant nous en
brandissant sa basse et fait le bonheur des photographes, je vois que le
t-shirt sous la veste et la ceinture nouée sont tout aussi charbonneux que le
reste de son attirail.
Avec ses cheveux gris depuis peu,
Pete le guitariste semble avoir dix ans de plus que Robert alors qu’ils sont
probablement du même âge. Il n’est pas loin de m’évoquer une version « rockeur
quand j’étais plus jeune » de mon grand-père espagnol (Papi ?). Sa
voix est claire comme celle d’un jeune homme, le cuir de sa veste rongé par les
intempéries et l’usure extrême. Black Leather Motorcycle Club. Contrairement à
Robert qui ne lâche rien, Pete ira poser cette veste sur un ampli à la moitié
du concert. Ce monsieur garde donc encore en lui une petite part de régulation
corporelle humaine.
Derrière la batterie, Leah parait
de ne jamais avoir subi de chirurgie cérébrale il y a deux ou trois ans et
envoie du pâté comme une championne. Je veux être Leah.
Je me pète le coup à lever la
tête vers eux. Cet infernal dilemme entre danser seule avec moi-même et ne pas
vouloir perdre une miette de ce qui se passe sur scène. Je piétine par mégarde
le sac que la petite à mon côté avait posé au sol. Malheureuse, on ne pose pas ses affaires au
sol au troisième rang. Les petites ados à ma gauche sont parties depuis
longtemps.
Comme souvent durant le dernier
morceau, Robert saute de la scène et vient gueuler sur le public juste en face
de moi. J’ai beau l’avoir reluqué de partout avec un œil moite et gourmant
durant l’entièreté du concert, je me refuse à me jeter sur lui et tenter de le
pétrir comme un morceau de pâte à pizza. Je suis grisée mais fâchée que tout
cela se termine. J’en aurais pleuré si je n’avais pas eu cette seconde date à
Barcelone sous le coude pour dans une dizaine de jours.
Nous ne sommes que quatre fans à
les guetter après le concert ; ils ne sortiront pas cette fois pour nous
jouer quelques chansons acoustiques en guise d’after.
Le lendemain, je décide de passer
mon début de journée dans les rues de Caen pour profiter de la brocante qui s’y
tient à l’occasion. J’y dégote un gros blouson de cuir pour homme que j’achète
sans trop réfléchir. J’en possède déjà au moins trois.
bonjour Celia.
ReplyDeleteJ’espère et même, je suis sur que tu passe (ou a passé) un bon séjour en France, en Europe, etc.
Avec ou sans blouson de cuir.
Je te souhaite un très, très bon anniversaire.
"Uncle" Jean-francois.