Nouilles Orques

Croyez-le ou non mais de finir raide pétée à 18h n'est pas dans mes habitudes

New York. New York, New York, New York, New York. Lalala, New York. Comme ce mec qui te file des frissons d'envie mais que tu sais pas fait pour toi. Pas nécessairement inatteignable mais simplement pas approprié.
New York me fascine depuis l'âge de seize ou dix-sept ans, peut-être depuis plus jeune? New York et Londres depuis l'adolescence, grosso modo. Oh le cliché. Je n'en ai pas honte ceci dit. Si l'on ne peut pas fantasmer sur deux des plus importantes villes du monde alors sur quelles villes le fera-t-on? Ussat-les-Bains, Reugny, Tlajomulco, Shefflield, Roquefor-Sur-Isère ? Soyons sérieux.
Il n'est d'aucune importance d'expliquer les raisons de mon amour de ces deux villes: ce sont exactement les mêmes que n'importe quelle ado ayant vu suffisamment de films américains, clips musicaux et photos cultes où y brille la vie urbaine dans toute sa crasse et sa splendeur, à cela venant s'ajouter une foule de groupes, artistes, intellectuels et originaux dont les créations ne cessent de vanter la ville et ses possibilités. Quand on vit dans la campagne de Vernou-Sur-Brenne - charmante au demeurant - et qu'on a plus de canards que de voisins, je vous dis pas la tranche de rêve en barre.

J'ai posé les pieds sur le sol Londonien pour la première fois à treize ou quatorze ans; hystérie totale. Je me souviendrai toujours du premier soir. A peine montés dans le taxi à la sortie de la gare, en train de m'extasier sur les lumières de la ville, Big Ben et compagnie, à répéter “MON DIEU ON EST A LONDRES VOUVOURENDÉCONTE??” à ma mère et mon frère fourbus. J'y suis retournée à quinze ans puis dix-sept ans, jamais plus d'une poignée de jours. Que des bons souvenirs, de ceux-là qui vous caressent les épaules d'une chaleureuse tendresse, de bien-être et d'euphorie mêlées.
New York, j'y suis d'abord allée à dix-sept ans au printemps 2007 pour un petit voyage linguistique d'une semaine. Peut-être pas dans les meilleures circonstances: début d'anorexie, froid polaire anormal pour l'époque, camarades de voyage à des milliers de lieux de ma propre personnalité, timidité encore bien trop prononcée. Et pourtant, bon sang j'ai aimé. Plutôt que de m'intimider au possible, me trouver seule (sans ma famille, tout ça, vous savez) m'a énergisée. Impressionnée, évidemment, mais aussi burnée comme j'avais encore rarement été burnée. La satisfaction de passer tous les matins au security-check de l'Empire State Building pour aller prendre mon cours d'anglais – lolz – au quatrième étage. Le bonheur, une fois passée la terreur initiale, d'avoir su rentrer chez ma famille d'accueil dans le Queens toute seule comme une grande depuis Manhattan dès le premier jour et d'avoir pris métro et bus sans me perdre – j'avais perdu de vue ma camarade de chambre dans un magasin, là est la vraie raison pour laquelle j'ai été contrainte de rentrer seule ahem. Pour une paysanne qui avait pris le bus urbain seule pour la première fois de sa vie un mois plus tôt à peine, ça n'était pas rien. Pas rien du tout.

Oui, je suis la fausse babos en bleu. #RetourenArrière

L'euphorie de me sentir proche, physiquement proche, de beaucoup de mes nouveaux musiciens favoris de l'époque – Yeah Yeah Yeahs, The Strokes, Interpol et We are Scientist en ligne de mire. De croire goûter à leur monde. D'oser errer dans les rues de l'une des plus grandes villes du monde sans la crainte de m'égarer quelques minutes ou de devoir demander sans honte mon chemin à une cop dodue en train de manger son déjeuner dans sa voiture de police. J'avais déjà eu un vague avant-goût similaire à Londres mais c'était là du plus haut niveau. Certains vivent déjà seuls, bossent ou ont des enfants à dix-sept ans. Je m'extasiais pour ma part d'apprendre à voyager en train sans ma famille. Poser les pieds à New York pour une toute petite semaine de voyage encadré m'a laissé entrevoir que j'en avais peut-être un peu dans le ventre, finalement. Du moins plus que ce que je m'imaginais. Hélas il me faudra encore beaucoup, beaucoup plus de temps après cela pour commencer à le réaliser pleinement.

Un autre passage express pour la nouvelle année 2013. Une fête entre amis d'amis dans un appart de Manhattan, un retour raide saoule pieds nus par -1 000 °C à notre logement de Brooklyn, un mélange alcool et herbe très très malvenu et encore plus mal reçu par mon malheureux corps – ma dernière expérience à dater, j'espère à jamais, avec l'herbe. Sans cette mauvaise fin de soirée et la journée du lendemain gâchée par une massive gueule de bois conséquente, le séjour aurait été parfait à sa manière.

Et puis ce retour en Novembre 2017, après des mois et des années d'anticipation. Pas la peine de raconter mes activités en détails: elles n'ont pas grand chose de plus original que celles des millions de touristes qui y posent les pieds chaque année. Mis à part le fait que j'y ai passé les trois premiers jours avec mon frère et cinq jours de plus seule.
Les deux contextes comptaient beaucoup pour moi: d'y être en compagnie d'un proche avec qui je puisse partager des moments et une connexion spéciale avec l'endroit, comme d'y passer plusieurs jours sans personne.

La photogénie, une affaire de famille

Je ruminais l'obsession d'aller vivre à New York depuis quelques années. Ou du moins dans l'une de ces grandes villes qui me fascinent et m'obsèdent tant. Mais New York restait la numéro 1 sur la liste, pour autant de raisons clichées et idéalistes que d'autres parfaitement valables. Seulement voilà je ne suis pas non plus du genre à faire mes valises et partir avec un billet de 20 dollars en poche et mes meilleures ambitions. J'ai des chats à ma charge, bon sang, un appart meublé par mes propres soins, un placement immobilier basé à Guadalajara et j'en passe; si je pars, ça ne sera ni en catastrophe ni tout de suite et surtout, surtout, ce sera pour quelque chose qui en vaille la peine et avec un minimum de sécurité. C'était là mon état d'esprit depuis au moins trois ans. Et puis j'aime Guadalajara, c'est un fait. J'aime cette ville, son climat, ses paysages, son mode de vie et ses rues – son insécurité croissante et son manque d'offre de travail dans mon domaine, moins. Je ne connais encore aucune ville dans laquelle je me sente aussi à l'aise. Je pourrais sans doutes y passer le reste de ma vie. Mais qu'en serait-il alors de New York, de Londres, Hong-Kong, Austin, Tokyo, Bogotá ? Je vivais avec l'angoisse croissante de perdre les opportunités d'une vie en m'en tenant à la première ville qui m'a plu. Mourir sans avoir pu expérimenter une mégalopole ou une autre ville coup de coeur était (et reste toujours) l'une des grandes peurs de mon existence.

J'ai alors commencé à considérer l'option sérieusement. En essayant d'être aussi réaliste et logique que possible, en planifiant un éventuel déménagement dans un laps de temps de deux à trois ans, en voyant les options de transfert international de CHATS, les conditions de visa (bobo) et en comparant le coût de la vie new-yorkaise (mégabobo) et les possibilités d'emploi dans lesquelles j'aurais toutes mes chances d'être embauchée. Et surtout en me renseignant sur ce que cela implique d'être new-yorkaise: la gnaque nécessaire pour y faire son trou, l'ambiance quotidienne, le mode de vie, la routine de Madame Tout Le Monde. Histoire de ne pas me planter. Car finalement, peu m'importe de vivre à NYC ou Hollywood ou dans le foutu Buckingham Palace si je ne suis pas capable de m'y sentir bien, d'y être moi-même et de pouvoir y mener la vie qui me satisfait. Y avoir des amis, aussi. C'est bien les amis.
Hobbo? Non, mon jeune frère qui attend sa rame. 

Je me souviens d'une fille sur Internet qui avait recommandé à tous ceux attirés par l'idée de s'installer à New York de venir y passer une semaine seuls, ajoutant que “si vous pouvez voyager seuls à New York, vous pouvez voyager n'importe où”. Je ne suis pas foncièrement d'accord avec ce commentaire mais j'ai néanmoins suivi son conseil.
Flâner seule dans une ville, c'est finalement ce que je fais au quotidien lorsque je ne donne pas cours. Vraiment: faire du shopping seule, errer dans les rues sans but précis, me poser des heures dans des cafés ou tester un maximum de NOURRITURE, c'est littéralement ma vie à Guadalajara. Ça et passer des heures sur le PC ainsi que faire la sieste avec mes chats. Le test sera alors simple: NYC vs GDL, laquelle de ces deux villes se prêtera-t-elle la mieux à mes activités non-sociales favorites?

$23,45 + taxes. Je ne regrette rien.

Donc. Et bien. Pas aussi simple que je l'espérais. Je m'attendais à soit adorer la ville et sa vie du premier au dernier instant, sur tout ses aspects, et à organiser mon déménagement dès mon retour à Guadalajara ou bien à finalement ne pas aimer du tout et me sentir écrasée par les buildings, intimidée, stressée et insupportée par toute la flopée de yuppies, hipsters et weirdos. Je n'ai ressenti ni l'un ni l'autre, ou peut-être un vague mix des deux. Bien sûr. C'aurait été beaucoup trop simple sinon.
La ville est belle, je l'ai bien vu et apprécié. Je n'avais encore jamais, de toute ma vie, vu un automne aussi beau et carte-postalien que là-bas, avec toute sa palette de couleurs orangées, sa lumière dorée, quelques jours de ciel bleu – Dieu Merci – et sa crisp fraîcheur.


La ville est laide et sale de même. Je le savais, je m'y attendais, j'habite moi-même dans une autre ville où les services de poubelles et la conscience écologique des gens ne sont vraiment pas les meilleurs au monde, mais j'avouerai que de voir des scènes de saleté similaire dans un pays du premier monde m'a un poil désarçonnée.
M'étant basée à Williamsburg pour la semaine – forcément, en bonne wannabe que je suis – j'ai aussi pu percevoir les origines plus modestes et industrielles de Brooklyn. Je n'ai pas détesté ça, pour être honnête, car je m'attendais à vrai dire à quelque chose de bien plus gentrifié, artificiel et poseur. J'ai même pu y sentir quelque chose d'authentique et remarquer plus de gens normaux que de hipsters. Les gens, d'ailleurs, ne me sont pas apparus aussi froids, distants et mal aimables que ce que l'on en dit. Pas les plus chaleureux sans doutes, assez blasés et stressés mais pas d'odieux connards non plus. J'y ai même eu quelques charmantes interactions - spéciale mention à mon premier AirBnb, à cet adorable barman de Soho et à la vendeuse de cupcakes.

Les bars locaux, un pouce en l'air définitif 

Cela n'empêche que la semaine a été éprouvante. Je passais par une fatigante miriade d'humeurs dans la même journée, à m'enflammer d'un coup et me mettre à chercher des apparts à louer dans mon dernier quartier coup de coeur dès mon retour au AirBnB ou au contraire à me demander, sincèrement, comment autant d'artistes et migrants pleins de rêves et d'ambitions peuvent trouver bonheur, fascination et inspiration dans un pareil foutoir. La ville est stressante et pesante; même moi en tant que touriste solitaire ai pu m'en rendre compte. C'est aussi pour cela que je tenais à y passer plusieurs jours seule: si j'y avais été accompagnée en permanence, il aurait été plus difficile de me sortir d'un état d'esprit de vacances extatiques et me faire une idée de la vie normale des locaux, dénuée de tout le glam touristique. Il y a eu d'autres aspects négatifs qui n'avaient rien à voir avec la ville elle-même, ou que je me suis bêtement infligée seule: la contrainte financière, mon intolérance MASSIVE au froid et à la grisaille, mes restes de timidité, ma tendance à me laisser bouffer par des détails à la con comme par exemple : “Ohlala il faut absolument que je trouve un moyen de lâcher du poids de ma valise pour mon vol à Chicago mon dieu je ne peux donc pas faire trop de shopping oh mon dieu mon dieu mon dieu”.
Tout ça ne me surprend pas, finalement. Ce à quoi je ne m'attendais pas a été la mélancolie. Très honnêtement je peine encore à en saisir l'origine ou la justesse. Pour dire les choses simplement: il y a quelque chose dans les Etats-Unis, ses paysages, ses habitants et son mode de vie qui me déprime profondément. Et je crois avoir ce problème plus particulièrement avec la moitié Nord du pays. Quelque chose de glauque et plombant qui ne me fait pas du tout envie et me met carrément mal à l'aise.
Un exemple qui me botte à chaque fois mais que je ne peux plus ignorer: les maisons typiques du Nord-Est, avec leurs façades rainurées d'espèces de planches peintes de couleur pâle, vert pastel ou gris tendre pour la plupart. Bon sang, elles me feraient presque taper des crises d'angoisse, ces façades. Je n'y comprends rien. Je devine d'autres causes possibles à ce mal-être mais ça ne me paraît pas vraiment approprié d'en parler ici. Un peu trop socio-politique pour moi. Je pensais pourtant passer au-dessus de ces tracas comme je suis passée au-dessus d'un paquet d'aspects négatifs au Mexique pour me concentrer sur ce que j'y adore, mais non. Impossible à New York ou Chicago de faire l'impasse sur ce rampant mal-être, sur cette petite corde accrochée à ma taille qui me tire irrémédiablement en arrière par petits accoups et qui, à mon grand dam, me rappelait certains des moins agréables aspects de ma vie en France.
J'ai passé toute cette semaine New Yorkaise puis une seconde semaine à Chicago atrocement aux aguets de chacune de mes émotions, perceptions et idées afin de savoir quelle serait la plus juste décision. Pourrais-je déménager à New York ? Sans doutes. J'aurais les tripes de le faire et d'y arriver, ne serait-ce que pour le challenge et la satisfaction d'avoir osé. Y serais-je heureuse, satisfaite de ma vie et convaincue d'en profiter au mieux ? Pas sûre. Pas sûre du tout. A moins bien sûr d'y faire le taf que j'aime, avec un salaire décent, un appartement charmant dans un quartier qui me plaît et de bons amis avec qui explorer la ville et en savourer les meilleurs atouts. Ce qui serait un petit miracle. En vérité j'y bosserais sans doutes 7 jours sur 7, accumulant deux ou trois emplois pas géniaux pour avoir tout juste de quoi payer le loyer carabiné d'un petit studio dans un quartier bateau. Je viens de dire un massif NON à une vie métro-boulot-dodo à Guadalajara; est-ce que ça en vaudrait vraiment la peine d'aller mener cette même vie – en pire certainement – à New York juste pour rouler des mécaniques et clamer que j'habite dans la Big Fat Pomme? Nah.

Tellement plus sociable que moi. Un beau souvenir.

Le détail final qui n'a pas trompé: mon sentiment de bien-être, de chaleur en rentrant à Guadalajara et en y retrouvant sa végétation urbaine, sa lumière, ses fleurs, sa crasse et sa population. On ne choisit pas ceux qu'on aime; il semblerait qu'on ne choisisse pas tellement plus les lieux que l'on aime ou déteste.

Je t'aime toujours bébé

New York continue de me fasciner et je continue de vouloir y aller à la moindre occasion – quoiqu'à une époque CHAUDE pour la prochaine fois. Sans doutes continuerai-je de m'y rêver, en train d'y mener la grande vie. Mais cette urgence de devoir y habiter comme seul gage de réussite personnelle est passée. Et ça fait du bien.

Photos de Célia Simon



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