Rosemary, Sally, Jesus et tout ça

                                                                      Tellement jeune, tellement dedans

Voilà donc: Interpol et Portugal. The man. Et pas Phoenix car 1) Je les avais déjà vus live 2) Ils jouaient en dernier et leurs horaires risquaient d'empiéter sur le concert de Portugal 3) Je les apprécie mais suis loin de les aimer au point de leur faire des concessions.
Interpol c'est une autre histoire. Je les ai découverts à quatorze ou quinze ans et les ai d'abord détestés. Pas encore habituée à ce type de voix ni d'ambiance cold wave eighties. "Evil" a été la première chanson que j'ai entendue d'eux et immédiatement non aimée. À l'époque je passais mes journées devant les chaines musicales à engranger clips, Tops 10/20/50 et diffusions de concerts comme j'enfournais les tablettes de chocolat, sandwichs et autres plâtrées de bouffe diverse. Le clip de Evil et son personnage un peu flippant à la voix si grave et cheloue a rapidement envahi mes chers médias musicaux vers la mi-2004; le léger mal-être éprouvé face à cette vidéo s'est transformé en dégoût total au bout de deux ou trois visionnages imposés. Puis ce fut la grande époque des Zones Nocturnes: Slow Hands, C'mere et surtout, SURTOUT Obstacle 1 me sont tombées dessus. Amour instantané. Ne me demandez pas d'explications. Sans doutes me suis-je habituée peu à peu à ces sonorités post-punkestes, Talking Headesques, Joy Divisionnesques et autres Velvetundergroudesques si tendances à l'époque et assaillant mes innocents tympans de toutes parts. A ce sujet-là, oserais-je même vous confesser que j'ai d'abord haï la publicité de 2004 pour la sortie de l'album "Room On Fire" de The Strokes, accompagnée d'un extrait du clip de Reptilia ? Sans déconner. Cet autre chanteur chelou aux yeux exorbités en train de brailler en gros plan devant la caméra ne m'a absolument pas fait frissonner d'envie. Sachant que j'écris ces phrases le jour même du festival 212 de 2017 et auquel je vais bien évident assister c'est quand même fou fou fou - mon dieu mais de quoi parle-t-elle donc ? Trop de suspense. 
Curieusement et encore à l'instar de The Strokes, je n'ai commencé à acheter les albums d'Interpol et à les écouter en dehors des chaines musicales que vers vingt-et-un ans. Pour être parfaitement exacte j'ai commencé à sérieusement les écouter à mon retour à Tours – haha – lors de ma dernière tentative avortée de reprise d'études universitaires à l'automne 2010.
J'ai eu la chance de les voir en concert à cette même époque, sans doutes mon meilleur souvenir d'alors. J'ai immédiatement filé à Bordeaux où ils jouaient et squatté chez une amie le temps d'une nuit pour aller les voir avant d'attendre le bus nocturne pendant deux heures une fois le show fini – #QuandTuNeConduisPas et que tu continues à te démerder dans le style "j'ai quinze ans et pas de mobylette". J'y ai pris une délectable claque; l'album qu'ils venaient de sortir à l'époque ne m'avait pas impressionnée plus que ça mais je n'en ai pas moins adoré leurs anciennes chansons et leur performance live. Ce groupe a beau jouer de la musique de zombie dépressif, leur énergie scénique est réelle. Je venais tout juste alors de me mettre aux concerts: si mes comptes sont corrects je n'avais encore vu que Oasis, Arctic Monkeys et Julian Casablancas avant eux - déjà une bonne partie de mes idoles absolus pour être honnête. Vous me direz, à ce jour le live d'un groupe vénéré reste pour moi une expérience toute aussi biblique et émotionnelle qu'à l'époque. Ce concert d'Interpol a également été le premier où je me suis motivée à prendre mes burnes virtuelles à deux mains et y aller seule plutôt que d'implorer/forcer mes pauvres amies à m'accompagner à des concerts leur important autant que le mode de fabrication du pâté de foie.
J'avais passé une merveilleuse soirée, restant accrochée plusieurs mois à ce groupe qui a avec une ironie certaine parfaitement illustré de sa musique sombre et torturée le pénible crash mental – again – que j'ai à l'époque traversé pour avoir abruptement arrêté mon traitement médicamenteux sans avis médical. Cette conne. Mais voici là une autre histoire qui n'est guère appropriée dans ces pages.

Revenons enfin – mes pauvres – à cette soirée de marathon musical. De sacrés litrons d'eau ont coulé depuis ce premier concert d'Interpol et bien qu'ils me soient toujours très chers je n'ai pas accordé tellement d'attention à leurs plus récentes activités. Mais c'était sans compter l'anniversaire des quinze ans de leur célébré et emblématique premier album: le groupe avait décidé pour l'occasion de faire une sorte de tournée anniversaire durant laquelle ils joueraient cet album dans sa totalité et respectant l'ordre original des chansons, en plus de quelques hits obligés des albums suivants. Et ça, ça n'est pas rien. Je ne sais pas qui les en a convaincus mais je suis certaine que peu de groupes daigneraient rejouer leur premier album en entier nuit après nuit, plus d'une décennie après l'avoir sorti. Il n'est pas rare que le premier album s'avère être le favori du public et de la presse mais également celui que le groupe haïsse, du fait de la comparaison perpétuelle de n'importe laquelle de leur production suivante avec ce premier effort. Quelle que soit la motivation, la concession ou l'idée du groupe derrière cette tournée anniversaire je ne suis que respect à leur égard. Et puis soyons honnête, j'ai beau adorer pour ma part un bon paquet des chansons du troisième et second album, leur premier reste très sérieusement gaulé. Que de raisons finalement pour aller les voir un petit moment avant de courir au C3 pour Portugal.

Le concert de The Growlers fini, les premières notes de Untitled - première chanson de Turn Out The Bright Lights - ont retenti depuis la scène voisine avec une ponctualité presque dérangeante pour un festival de musique. Je n'ai pas tardé à me souvenir de combien j'aime ce groupe et combien il a compté pour moi. Il n'y a en vérité pas grand chose de plus à dire sur le reste du concert, en partie parce que mes amis et moi étions très loin de la scène. J'ai simplement eu l'impression de renouer contact avec un excellent ami, un ami pas vu depuis tellement longtemps qu'on en avait presque oublié la qualité de cette amitié, à quel point la complicité était bonne et combien il nous a finalement manqué à en crever. Les années continuent à filer mais ces mecs gardent une belle énergie live. L'une de mes amies et moi sommes parties avant la fin pour ne pas nous faire attraper dans la foule mais n'ai pas pu résister à la joie de hurler les paroles de Evil – quelle ironie – sur le chemin de la sortie du festival et jusqu'à ce que nous soyons trop loins pour les entendre. Soupir.

Émotion totale; un concert même pas conclu et je me trouve déjà frétillante sur le chemin d'un autre de mes groupes chouchous. C'est quand même vachement bizarre, un festival. J'apprécie en partie cette espèce de déversement d'enthousiasme tout en étant pas tellement fan: il y a à mes yeux quelque chose de précieux dans cette mélancolie d'après-concert, cette tristesse et jusqu'à une certaine forme de déni. Ce refus de dire au revoir au moment et devoir retourner au monde réel. L'effet d’enchaînement de concerts des festivals émousse notablement cette sensation et en enlèverait presque l'aspect rituel, l'élément quasiment "sacré". Mais peut-être n'est-ce là que moi qui me laisse emballer dans mon éternel identité d'adolescente incapable d'enterrer sa suffocante passion pour ses idoles. Voilà. Voilà voilà. On va continuer.
L'avantage ici pour Portugal. The Man et un peu The Growlers: ces groupe sont trop récents, pas assez sur-médiatisés, sur-vénérés ou sur-emblématiques pour je puisse en idolâtrer les membres comme je l'ai fait avec les chéris de mon adolescence. Pas de fangirlisme ici: juste le plaisir et la pure émotion de leur musique, une musique étant la littérale bande-son de ma vie actuelle. Et boy, oh boy, j'ai encore dansé et piaillé comme si ça avait été mon premier concert de l'année. Non mais sérieusement; j'étais tellement intense dans mes mouvements que les gens dans mon périmètre et jusqu'à l'amie m'accompagnant se sont éloignés de moi, me laissant au milieu d'un périmètre de plusieurs mètres carrés désertés. Faut savoir que quand je danse, j'en fous partout: des bras par-ci et des jambes par-là et que je me casse presque la gueule et que je bouscule involontairement tout le monde et que j'écrase des pieds ou m'affale par erreur sur l'épaule d'un inconnu. Si cette description vous évoque l'image d'une toupie sous PCP en train d'essayer d'apprendre à danser la tectonite, c'est parce que c'est exactement à ça que je ressemble. Il m'aura fallu vingt-huit ans d'existence et près de dix ans de concerts pour avoir pu arriver à me bouger la couenne en public, me lâcher librement et appliquer la fameuse règle du "dance like no one is watching". Je ne regrette rien.
Et pour mon impression personnelle quant à la performance de ces chers, chers Portugal. The Man: heu, je ne m'attendais pas à autant de burnes déposées sur la scène. Leurs chansons les plus connues sont aussi parmi leurs plus mélodiques mais les racines rock psyché, bluesy et agressif restent clairement de sortie durant leurs shows, pour mon plus grand bonheur. Passée les deux premières chansons je me suis dit "Ok. C'est donc à ça qu'on va jouer". Leur puissance sonore et leur énergie scénique m'ont chopée par surprise et je m'en suis régalée du début à la fin.  
Moins plaisant cependant fut mon réveil à six heures trente le lendemain après moins de quatre heures de sommeil et environs 5000 calories dépensées en danses et cavalcades multiples – moins les 2000 calories procurées par la cuisse de dinde, certes. Mais que voulez-vous, j'aime clairement trop mon travail pour laisser un bête festival m'empêcher de retarder mon réveil d'une seule petite demie-heure un samedi matin afin d'aller donner cours à des élèves ébahis devant mon irréprochable professionnalisme. Un professionnalisme aux yeux cernés et à la voix un poil enrouée mais irréprochable au demeurant. Ils n'y ont sans doutes vu que du feu de toutes manières, trop occupés qu'ils étaient à essayer de lever les mystères du passé composé.


Voila final. Je suis retournée au Coordenada le samedi soir pour y voir Garbage et conclure ainsi le second jour. Un moment tout à fait plaisant mais sans rien de particulier à mentionner si ce n'est l'effet un peu surréel de voir Shirley Manson là, sur la scène et d'écouter leurs hits hurlants les années 90's. Un peu une sorte de voyage dans le temps.
Ne me reste plus qu'à finir la phrase, clore le fichier et aller pédaler joyeusement à dos d'une fougueuse bicyclette publique jusqu'au concert gratuit de Julian Casablancas + The Voidz dans l'une des grandes avenues de Guadalajara – bonjour, décès par écrasement sous foule. Rohlala mais quel cliffhanger.

Photo de Célia Simon

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