Dublin


Parce que Rory Gallagher est mon héro Irlandais - et parce que j'ai perdu toutes mes photos de ce voyage

"And what are your dreams?
- ...."

Je venais juste de célébrer mes vingt ans. Le plus bel âge comme on dit. J'étais en séjour linguistique à Dublin en Irlande; mon premier voyage de plus d'une semaine sans être accompagnée d'amis ou de ma famille, bien que je sois encadrée par le staff du séjour. J'étais encore un véritable bébé, bien moins débrouillarde que nombre de filles plus jeunes que moi. Un bébé qui en avait déjà un peu morflé sur certains points, cependant.
Il y avait deux jumelles dans ma famille d’accueil: deux fillettes d'environs onze ans aussi adorables que dures tels que je m'imaginais les Irlandais. Etant encore une fille casanière pas franchement aventurière je passais donc de longues heures dans le salon familial en attendant que mes camarades françaises me contactent pour faire quelque chose ensemble, trop godiche pour me sortir les fesses seule et aller explorer les environs. L'une des jumelles est venue passer du temps avec moi durant l'une de ces après-midi de glande sur canapé; je crois que nous avons papoté un temps et je me souviens qu'elle a mentionné être une grande fan de Mickael Jackson – qui venait de décéder moins de deux mois plus tôt – et qu'il représentait pour elle un modèle absolu lui donnant force et inspiration pour mener sa propre vie, son rêve absolu étant de devenir danseuse professionnelle. Un beau commentaire qu'elle a naturellement ponctué en me retournant la question. Quels étaient mes propres rêves? Qu'est-ce qui me faisait donc me lever le matin, que voulais-je accomplir dans ma vie et était-je déjà attelée à la réalisation de ce projet?

Qu'elle me pose cette commune question ne m'a pas surprise, alors pourquoi suis-je restée bouche bée sans pouvoir d'abord verbaliser autre chose qu'un magnifiquement français "hheeeuuuuu...". Je m'attendais à une question de la sorte mais surement pas à ma réponse. Ou, devrais-je dire, à mon incapacité à formuler une réponse.
Je sortais juste d'une année d'hospitalisations et vivais encore dans un studio payé par mon assurance santé en résidence spécialisée pour cas médicaux et psychiatriques qui essaient peu à peu de se ré-intégrer à la société. Boulimique croissante depuis environs six mois, ce séjour Irlandais loin de chez moi venait de donner un nouveau souffle à mes pertes de contrôle alimentaire. Quand je ne tirais pas des barres chocolatés dans le tiroir à sucreries de ma famille d’accueil, j'allais au Tesco du coin – la seule sortie en solitaire dont je me trouvais capable – et arpentais les rayons de longues minutes, encore hésitante et tiraillée entre l'impulsion de bouffe et mes derniers résidus de conscience raisonnée. Pour info: la seconde ou le premier aliment est acheté et payé, le train boulimique est lancé et c'est perdu.
J'avais raté un second semestre d'université à cause de mon incapacité à reprendre le fil de ma vie, de mes responsabilités et mes obligation, m'enfonçant par la même dans le dégoût de moi-même et le manque de confiance indispensables à tout bon auto-sabotage. Ce qui me faisait me lever le matin ? L'obligation d'un rendez-vous inutile avec une psychologue peu avenante et le désir de saturer mon corps de nourriture tout en jouant aux Sim's.

J'ai envie de dire que j'ai fini par balbutier "Heer I don't know, I really like music..." à la petite pré-ado devant moi mais il se peut que ma mémoire ait inventé cette réplique histoire de compenser. Ce dont je ne doute pas c'est de son regard en guise de réponse. Elle m'a observée comme si j'étais la plus misérable créature ayant jamais croisé son chemin. Pas un regard de colère, de mépris ou de dégoût mais de pitié, de déception peut-être. Comment, à cet âge idéal entre potentiel d'adulte et fraîche énergie d'adolescent, comment peut-on se trouver aussi vide ? Désolée, voilà ce qu'elle était. Désolée pour moi et déçue pour elle-même de se voir présenter une si piètre représentation d'une jeune vingtenaire. Elle qui trépignait probablement d'impatience à l'idée d'atteindre ce même âge à son tour.

Elle n'a rien dit et a attrapé mon pc, s'est attelée à y installer une sorte de mini-jeu internet très enfantin sur lequel elle était inscrite. Une fois fait, elle m'a immédiatement envoyé une sorte de message de bienvenue sur le jeu depuis son propre compte.
"Hey Celia, welcome ! Have fun and remember to follow your dreams !".

Damn. Il fallait déjà que j'ai des rêves, pour commencer.  

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