Guns, Guns, Guns

Photo de Célia Simon

Un titre plein de subtilité je vous l'accorde. Mon père ne collectionnait donc pas les porte-clés mais les GUNZ. Les armes. les vraies armes, pas les mitraillettes à billes - que nous possédions également en larges quantités, cependant.  Un grenier plein à craquer d'armes en tous genres, du fusil sniper à la Uzi en passant par le vrai revolver de cow-boy. Tout légal, vous vous doutez bien. Enfin, ce que j'en sais. Vous pouviez même ouvrir un épais livre et y découvrir un petit flingue habilement dissimulé; vous savez, avec les pages découpées et collées entre elles comme pour former les parois d'un petit coffre - une obsession des films de gangsters et autres histoires de la Résistance. Rick Grimes de The Walking Dead serait tombé sur cette réserve je peux vous dire qu'il aurait été CONTENT. Descendez au sous-sol et vous trouviez un atelier pour fabriquer des balles en plombs - Hi Eugene. Je vous le disais; mon doux foyer était un paradis pour survivants d'une apocalypse zombie.
Et nous n'étions pas en reste avec les armes blanches. Sabres napoléoniens et katanas japonais, épées médiévales, dagues et poignards de toutes époques, machettes, boucliers et jusqu'aux casques de chevaliers. Dedieu, il y avait même une masse d'arme accrochée au mur du salon. Une vraie, hein, avec trois boules de fonte monstrueusement lourdes et couvertes de piques. Je n'aurais pas aimé m'en prendre un coup dans la poire. 
Je ne suis pas un cul-béni moi-même. Je peux reconnaître l'attrait de cette grisante sensation de tenir un pistolet entre ses mains, avec toute sa puissante symbolique et l'image ô combien dominante. La minuscule gâchette et ce pouvoir de vie et de mort que l'on tient littéralement au bout du doigt. Heu. En fait non, oubliez cette dernière phrase; rien que de l'avoir écrite à l'instant même me donne des frisson de dégoût. Non, les armes à feu ne sont pas mon délire. A part peut-être pour la photo cool ou pour couvrir Daryl Dixon face à une horde de walkers. Les armes blanches par contre, voilà mon plaisir coupable. Ça n'est pas au top de la coolitude, mes pauvres je le sais bien mais qu'y puis-je? J'ai toujours été fan de ce délire médiéval, antique et héroic-fantasy. Eeet oui. Laufeust de Troy, le Seigneur des Anneaux et toussa, avec toutes les armes qui en découlent. Au point de rêver d'étriper des gens? J'en doute. Mais j'aime la beauté de ces objets-là, leur charge historique et culturelle, leur symbolique, l'apprentissage des techniques de combat, blablabla et j'en passe. 

Ma mère s'est bien sûr débarrassé de tout ça, armes blanches comme armes à feu. On pourrait juger comme on veut; certains diront que c'est un manque d'acceptation de se défaire avec moult empressement d'objets qui firent partie de notre vie des années durant comme on supprime, plein d'embarras, les horribles photos de la beuverie de la veille. Pour ma part je ne la comprends que trop bien. Une armurerie pareille chez soi, paye la charge malsaine. L'idée d'avoir élevé ses enfants entourés d'instruments de mise à mort, paye ton squelette dans le placard. Et je ne vous parle même pas des films de guerre, des documentaires sur la Shoah, de la littérature sur l'histoire des instruments de torture, des magazines de criminologie avec un tueur en série différent en couverture de chaque numéro. Un poil glauque comme bibliothèque multimédia du salon familial.

Vous l'aurez peut-être compris, mon père était un psychopathe. Enfin je dis psychopathe sans être trop sérieuse et laisse à un professionnel de la santé mentale le loisir de diagnostiquer mon défunt géniteur à sa guise. N'empêche qu'il n'y a pas besoin de s'y connaître un max pour admettre qu'il affichait une obsession carabinée pour la guerre, les armes, les meurtres et serial killers en tous genres. Pour reprendre ses études et passer l'examen de médecin légiste à plus de 45 ans, faut vraiment le vouloir. Braïfe.
Il y en a peut-être parmi vous qui sont en train de penser "grandir avec une réserve d'armes à feu chez moi MAIS C'EST TROP BIEN!!". Heu, ouais. Surtout quand votre daron vous met un pistolet dans les mains à dix ou onze ans en vous demandant de vous tenir devant l'entrée d'un terrier de rat pour y flinguer le pauvre animal alors qu'il cherchera désespérément à en sortir une fois que vos parents l'auront préalablement inondé par une autre entrée. Encore plus fun quand vous voyez un autre membre de votre famille virer assassin sniper, posté à une fenêtre depuis laquelle il abattra l'un des canards de la mare du jardin que l'on avait décidé de manger pour Noël ou une autre occasion du genre. Aahh, la vue de l'eau gelée de ladite mare couverte du sang du pauvre animal, quelques fragments de crâne et cervelle éparpillés sur la glace blanche. Vraiment trop cool en effet de grandir dans un foyer saturé d'armes et de références au meurtre. Un vrai petit miracle qu'on ait pas viré The Devil Rejects.

Aujourd'hui, une moité de moi reste irrésistiblement attirée par tout ce qui tourne autour de la guerre, du crime et de la violence graphique tandis que l'autre moitié ne peut pas, absolument pas, encaisser la simple idée de la souffrance humaine et animale. Les scènes de fiction que je ne peux ni voir ni écouter ni lire ne sont pas nécessairement les plus gores mais les plus cruelles, celles où l'on peut percevoir la souffrance, la détresse et la dégradation complète d'un être vivant. Les histoires vraies de massacres et de personnes atteintes de maladies aux symptômes cauchemardesques ou victimes d'horribles accidents me sont tout aussi insupportables. Ma partie anxieuse obsessive prend alors le dessus; je m'imagine leur supplice, la panique et les douleurs innommables que rien ne vient apaiser jusqu'à ce que la mort n'y mette un point final. Je sais que c'est réel, que c'est le pain quotidien de milliers d'entre nous chaque jour et que "ça n'arrive pas qu'aux autres". Et tout cela me fait angoisser bien plus que de raison. J'aime pas la mort. J'aime pas la méchanceté et j'aime pas le concept d'avoir très mal. Finalement, on pourrait dire que c'est là l'enseignement positif que j'ai pu retenir de mon enfance passée dans un véritable musée de la violence. 

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